samedi 16 février 2013

Collectif 9: du classique dans ta face

Ils sont neuf, ils affichent une dégaine d'enfer, portent la veste sur le jean juste assez usé. L'une arbore un haut à paillettes, un autre un borsalino qui fait sourire d'emblée. À bas le pingouin! Ils jouent du classique lourd, comme d'autres du rock, dans des lieux improbables, où ne frayent pas habituellement les amateurs de classique, dans l'espoir justement de briser les frontières entre les genres et de rejoindre un nouveau public. Ainsi, mardi, Collectif 9 s'est produit devant un Rialto presque bondé. Ceux qui aiment écouter Mozart dans leur Jaguar frémiront: les musiciens sont amplifiés et les jeux de lumière font partie du concept. Décoiffant!

J'admets avoir eu moi-même besoin de quelques pièces pour m'habituer au fait que, malgré que l'on ait affaire à un orchestre de chambre (deux quatuors et une contrebasse), le nombre de décibels se maintiendrait toujours au-dessus d'un certain seuil. Si « Montaigus et Capulets » tiré du Roméo et Juliette de Prokofiev fonctionne très bien avec le son « dans le tapis », d'autres propositions m'ont un peu moins convaincue. Chaque attaque, chaque bondissement de l'archet s'en trouvent magnifiés, parfois à la limite de la distorsion (mais des ajustements ont été heureusement apportés en cours de concert). Paradoxalement, dans les pièces intimes (je pense ici à une superbe interprétation de la Trauermusik de Hindemith mettant en vedette l'altiste Scott Chancey), cette amplification m'a paru moins gênante.

Les musiciens attaquent Vivaldi comme du Led Zep. (Bravo à Yubin Kim, presque kamikaze, qui n'a pas hésité à décaper Les Quatre Saisons!) Les lumières (splendides notamment dans le Schnittke) enveloppent, balaient, éclatent. On passe de Bach à Piazzolla ou Golijov, de Brahms à Chostakovitch ou Bartók. Rien de figé: violonistes et altistes changent de pupitre, chaque membre se voyant offrir une occasion de briller. Contre toute attente, aucune concession n'est faite côté répertoire. Il n'est pas ici question de diluer la grande musique en la simplifiant, mais bien de la porter ailleurs. Quand la soprano Samantha Louis-Jean se joint un groupe, gainée dans une petite robe noire à faire tomber dans les pommes tous ces messieurs, charismatique comme pas possible, et chante In furore iutissimae irae de Vivaldi, on se dit que quelqu'un a trouvé un passage direct entre les 17e et 21e siècles et oublié de nous en avertir. (On aurait bien repris un air ou deux, d'ailleurs!)

Dans un monde où bien peu osent s'aventurer dans la zone minée entre surspécialistes et crossover, Collectif 9 propose une expérience nouvelle, rafraîchissante, qui ne tombe jamais dans la facilité. C'est devenu trop rare.

Je vous laisse sur un arrangement (signé par Thibault Bertin-Maghit, le contrebassiste) du dernier mouvement de la Sonate « à la lune » de Beethoven. Rendu de cette façon, on ne peut même pas en vouloir à Collectif 9 d'avoir piqué aux pianistes une page de leur répertoire. (Leur prochain concert est prévu le 16 mars à 20 h à l'Église Notre-Dame-de-Grâce.)




Collectif 9 - LIVEshort 5 / Fév. 2013 / Beethoven - Moonlight Sonata from collectif9 on Vimeo.

2 commentaires:

Claudio a dit…

Une critique très belle -- et très juste, pour avoir également assisté au concert. :)

Faut-il. étrangement, s'étonner du rythme et de la musique de tes phrases, lesquelles se trouvent ici presque un peu plus près du rock que du classique! C'est ce qui se produit lorsque le critique se laisse réellement porter par le travail des créateurs, phénomène plus difficile à éviter 1/ si l'oeuvre est de qualité et 2/ (comme dans ce cas-ci) si le critique est également créateur.

Et oui, la Sonate Clair de lune exécutée par les cordes était, ma foi, pas mal du tout!

Lucie a dit…

Je suis allée relire ma critique... C'est vrai qu'il y a un rythme de rock lourd, de phrases qui se bousculent, de lumières qui scintillent. Je n'avais même pas remarqué que mon ressenti du concert s'était immiscé de cette façon dans mes mots. C'est bon signe, sans doute! :)