Je m'en voudrais de ne pas revenir sur l'expérience immersive proposée par Chants libres le weekend dernier, qui a permis à un public nombreux et très attentif de découvrir des extraits de quatre opéras en cours de réalisation. En un peu moins de deux heures, nous avons pu voyager à travers des univers distincts et découvrir des esthétiques non pas tant contradictoires que complémentaires. Je m'attendais à assister à une lecture tout au plus, avec des segments disons moins en place, des scories à gommer. Rien de tout cela. Nous avons eu droit à une version certes concert des extraits (outre la présence sur scène d'une pinata dans l'opéra du même nom ou de projections, plus suggestives qu'invasives dans Médéa sparagmata), transmises avec un grand professionnalisme, tant par les chanteurs que les musiciens (membres de l'Atelier de musique contemporaine de l'Université de Montréal, sous la direction de Christian Gort, de l'Atelier de musique de chambre de l'Université de Montréal sous la direction de Jean-Loup Gagnon ou des Salons de l'ombre jaune).
La présentation s'est ouverte sur La pinata de Marie-Pierre Brasset, en apparence ludique, mais dont le propos finit par devenir plus sombre. Un embouteillage monstre sur le pont, des passagers prisonniers de leurs voitures, dont certains, en situation de crise, finissent par céder aux démons du passé. Musicalement, le tout m'a semblé d'un niveau relevé, mais j'ai eu peine à imaginer comment traiter la mise en scène. Peut-être l'extrait ne nous a-t-il permis que connaître uniquement les passagers de deux des véhicules, mais qu'en réalité ils sont plus nombreux? Peut-être parle-t-on d'ici d'un opéra d'une trentaine de minutes?
Trials of Patricia Isasa de Kristin Nordeval nous a fait basculer dans un univers autre. Drame à la fois politique et humain, cet opéra ne demande qu'à être monté. Articulé autour du personnage de Patricia Isasa, enlevée et emprisonnée à 16 ans par des policiers à la solde de la dictature argentine qui a trainé ses bourreaux en justice des années après, l'opéra semble plonger aussi bien dans la psyché de Patricia qu'évoquer les événements dont elle a été victime. Troublant.
Médéa sparagmata du très prolifique Nickos Harizanos (on parle ici d'un opus 135 pour ce compositeur né en 1969!), en grec ancien, se veut une page incantatoire, d'après une histoire aussi actuelle au 21e siècle que lorsqu'elle a été écrite par Euripide, brillamment servie par la mezzo-soprano Marie-Annick Béliveau. Souhaitons que Chants libres ou les Salons de l'ombre jaune céderont à la tentation de monter le tout à Montréal, en prenant soin de nous offrir des surtitres plus lisibles.
Le rêve de Grégoire de Pierre Michaud sera monté au printemps 2014 par Chants libres et les extraits entendus donnaient envie de voir le temps s'accélérer de façon exponentielle. Librement inspiré de La métamorphose de Kafka, ce voyage dans l'imaginaire et à travers les époques, dans lequel Grégoire croise Prométhée aussi bien que des caractères sortis de La Bruyère (l'autorité, l'ignorance) dispose de tous les atouts pour devenir un objet théâtral et musical mémorable.
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