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Crédit photo: Annie Zielinski |
Réalisée entre 1977 et 1980,
Untitled Film Stills reste une série de photographies mythiques de la photographe américaine Cindy Sherman qui s'y expose, tout en refusant l'autoportrait. Ici, l'artiste joue à être une héroïne de films de série B des années 1950, non pas pour reproduire un stéréotype, mais plutôt pour le déjouer, placer le spectateur dans une situation délicate, entre plaisir et inconfort. D'entrée de jeu, on comprend que l'interprète/photographe prend ses distances par rapport au personnage qu'elle incarne. Elle y arbore d'ailleurs le plus souvent un visage neutre, base que le spectateur peut utiliser pour extraire une lecture critique de la situation. À travers les photos, elle pose un geste féministe, qui décrie le fait que les femmes sont dépouillées de leur individualité par les conventions sociales - et peut-être bien, par le simple regard que les hommes posent sur elles.
Hantée par les photographies de Sherman, Catherine Dumas a choisi non seulement d'intégrer ou détourner certains des clichés de la série, mais de s'en servir comme de matériau, de thème jamais entièrement énoncé à une série de variations, de « recréations ». Ici, dans le confort d'une chambre blanche, comme toute petite fille qui aime se déguiser, la performeuse joue à être Cindy Sherman qui joue à être une série de personnages, avec la complicité de ses trois amies, qui la soutiennent au niveau musical (Léa-Corinne Bolduc), pictural (Éliane Berdat) ou des éclairages (Audrey-Anne Bouchard). Certaines des photographies sont reproduites avec une précision étonnante, d'autres se veulent moteur d'une nouvelle déclinaison. Dans un postmodernisme entièrement assumé, références visuelles, culturelles, historiques et sonores sont tissées les unes aux autres en une étonnante courtepointe (motif que l'on retrouve d'ailleurs indirectement sur les voilages blancs des trois panneaux qui délimitent l'espace de jeu. Dumas parle parfois au micro, parfois par-dessus une trame sonore pré-enregistrée. À d'autres moments, elle « décroche » pour redevenir elle-même, s'adressant à ses copines comme si nous les attrapions au milieu d'une répétition.
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Crédit photo: Annie Zielinski |
Elle offre ainsi au spectateur une lecture en strates du propos, Dumas étant à la fois elle-même, Cindy Sherman et la représentation des émotions suscitées par les photographies. Grâce à un travail adroit d'acétates (manipulées par Éliane Berdat), qui à certains moments ajoutent des éléments au tableau (coups de pied dans une porte que l'on peine à fermer ou larmes qui coulent par exemple), l'interprète principale devient l'une de ces poupées de papier que les petites filles s'amusent encore à habiller, son visage remplaçant celui, évidé, de Sherman. Comme lors d'une soirée pyjama, chacune a droit à son moment de gloire. Ainsi, Berdat ira remplacer Dumas, celle-ci se jugeant inapte à « prendre la pose » ou Bolduc lira à voix haute un texte que Dumas se contentera de mimer en lipsink. Sur
Girls Just Want to Have Fun de Cindy Lauper, les amies dansent, en « décrochage » apparent par rapport à la trame photographique. (N'est-ce pas une façon détournée d'affirmer l'indépendance nouvellement assumée des jeunes femmes, capables de s'extraire des attentes sociales stéréotypées?)
L'objet n'est peut-être pas parfait, mais la prémisse en reste des plus pertinentes. On sort du Centre des arts contemporains du Québec à Montréal avec des images plein la tête, un désir de se réapproprier le travail de Sherman (à qui le Dallas Museum of Art consacre justement ces jours-ci une rétrospective), mais aussi des questions toujours actuelles sur notre société soi-disant évoluée, dans laquelle chacun se voit décerner un rôle, qu'il jouera avec plus ou moins de naturel selon les circonstances.
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