mardi 7 mai 2013

Jan Lisiecki et l'Orchestre de chambre McGill: une étonnante maturité


L'Orchestre de chambre McGill proposait un concert-bénéfice un peu particulier hier soir à la Maison symphonique de Montréal, puisqu'il ne participait qu'à deux des quatre segments proposés, Spring Came Dancing de Stewart Grant et le Concerto pour piano « Jeunehomme » de Mozart. On aura néanmoins eu le temps de noter quelques flottements au niveau de la justesse des cordes, une entrée assez malencontreuse du cor dans le Concerto, mais aussi un brillant jeu du violon solo Jean-Sébastien Roy, qui a bien ancré l'orchestre dans le Mozart (« dirigé » par Lisieki) et a démontré une réelle prestance dans la pièce de Grant, palette d'atmosphères plutôt que prolongement du poème qui l'avait inspiré.

Retenu au Vatican, Boris Brott avait cédé sa place à Geneviève Leclair, sa chef apprentie au National Academy Orchestra of Canada, également chef assistant du Boston Ballet Orchestra, à la battue d'une rare clarté, ce qui a certainement rassuré les jeunes musiciens de l'École Le Plateau qui ont joué en ouverture de programme le Concerto a cinque d'Albinoni avec une belle maîtrise. Un « vrai » programme permettra éventuellement de se prononcer au niveau de ses choix interprétatifs, mais elle a su démontrer une réelle aisance, tant en français qu'en anglais, alors qu'elle s'est adressée au public (dépourvu de programmes, suite à une bévue de l'imprimeur).

Il faut admettre d'emblée que la grande majorité de ceux présents étaient comme moi venus entendre Jan Lisiecki, 18 ans tout juste, qui mène une carrière éblouissante depuis sa victoire au Concours OSM Standard Life en 2009, alors qu'il devenait le plus jeune lauréat de l'histoire du Concours. Je m'étais glissée en salle lors du concert qu'il avait donné avec l'OSM, sur l'insistance de tous ceux qui étaient sortis bouleversés après ses prestations en demi-finale et finale, avais déjà remarqué une rare maîtrise de l'instrument. Deutsche Grammophon lui proposerait peu après un enregistrement Mozart avec le Symphonie-Orchester des bayerische Rundfunks puis une intégrale des Études opus 10 et 25 de Chopin (parue il y a quelques semaines à peine). Si son Mozart m'avait semblé un peu sage sur disque, il s'est révélé tout autre hier: un travail réfléchi sur la sonorité, une maîtrise rafraichissante du phrasé, des effets d'écho subtils, une limpidité éblouissante des trilles et un sens de l'architecture (notamment dans les cadences) qui donne envie de l'entendre dans Bach. Il traitait de façon presque romantique les grands écarts mélodiques, ce qui permettait d'ériger un pont avec Chopin, dont Mozart était le compositeur de prédilection (pas étonnant, compte tenu de l'amour que les deux portaient à la voix).

Son opus 10 de Chopin m'a moins emballée. Lisiecki possède une technique exceptionnelle (peu importe son âge) certes, mais a semblé manquer un peu de profondeur dans la moitié des études proposées. Plusieurs ne respiraient pas suffisamment (« Chantez! Chantez! » rappelait constamment Chopin à ses étudiants) et les tempos presque excessifs de certaines empêchaient le discours d'être entièrement intelligible (la « Révolutionnaire » a presque été escamotée). J'aurais aimé un peu plus de lyrisme dans la troisième (sans évidemment tomber dans la mièvrerie souvent associée à cette page) et la sixième (aux voix intérieures redoutablement contrôlées cependant), mais ai été convaincue par le segment allant de la huitième à la onzième inclusivement (magnifique traitement ici encore des voix intérieures). Son enregistrement semble plus organique, plus cohérent, que ce que nous avons entendu hier, mais il faut néanmoins s'interroger sur le danger associé à la parution à un si jeune âge d'une telle somme, aux multiples versions de référence. De quelques années son aîné à peine, Daniil Trifonov en avait offert une version plus essentielle lors de ses prestations au Rubinstein et au Tchaïkovski. Ne boudons pas inutilement notre plaisir: si Lisiecki continue à bien s'entourer et à transcender la technique, il ira sans doute très loin.

Il nous parle dans cette vidéo de sa vision, fort intéressante, des Études de Chopin.



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