Le Quatuor Molinari fêtait ses 15 ans vendredi soir, dans l'intimité, dans l'intensité, partageant avec un public de fidèles (abonnés, compositeurs, collaborateurs du quatuor), d'amis, quelques-unes des œuvres qui ont jalonné son parcours, de R. Murray Schaffer, compositeur qui avait été au cœur des premiers événements du Quatuor à Bartók (intégrale qu'avait proposée le Molinari en 2006), sans oublier Schnittke (qui a ancré l'année 2010) et Goubaïdoulina (prochain projet d'enregistrement) qui, dans son Quatuor no 1, fait carrément exploser la formation même, chaque membre terminant la pièce dans un coin différent de la scène.
Il y avait là d'ailleurs quelque chose d'assez étonnant - mais pertinent - à commencer ce programme par cette dissolution du langage, qui se termine sur un véritable cri de solitude. N'entre-t-on pas en quatuor comme on entre en vie monastique ou dans un mariage, histoire de transcender la petitesse de son être en créant un tout plus grand que la somme de ses parts? De façon parallèle, certains des dialogues entretenus par les instruments dans le Goubaïdoulina semblent par moments relever de la discussion véhémente, clin d’œil aux répétitions peut-être.
Le Bartók permettait un apparent retour dans le temps (il date de 1927), mais surtout de comprendre la brèche que le compositeur a ouverte dans le langage et comment les autres ont su s'y engouffrer. La création du Douzième Quatuor de R. Murray Schafer s'est révélée magique. Dès la première écoute, on plonge dans le matériau organique, se laisse porter par les alternances entre traits rapides et passages d'un grand lyrisme. Dans une langue qui maximise le caractère chantant des instruments en présence, tout en leur confiant des instants dramatiques, Schafer nous a éloquemment rappelé pourquoi il est l'un de nos très grands. (La pièce, que je prendrai plaisir à réécouter, se trouve d'ailleurs sur le tout nouveau disque du Molinari, lancé lors du concert.) La soirée se terminait sur le Quatuor no 4 de Schnittke, une page sombre, toute en intériorité, refusant tout compromis, menée avec une rare maîtrise par les musiciens. Le public, probablement rasséréné par le Schafer, n'a démontré aucun signe de fatigue et a suivi le Molinari sans broncher, devenant même part prenante des silences. (Le dernier s'est ainsi révélé particulièrement prégnant.)
Pour fêter ses 15 ans, le Molinari aurait pu proposer un feu roulant d'extraits. Il a choisi de rester fidèle à lui-même, à cette recherche de l'excellence, à cette volonté de partager un répertoire trop peu défendu, à cette conviction surtout que le public est capable de s'investir dans une écoute active et se révèle au fond beaucoup moins frileux que d'autres pourraient le croire.
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