La cantate intérieure
de Sébastien Harrisson propose un troublant huis clos entre Zoé Wandorsky,
jeune artiste dans la trentaine, un coursier UPS dont le nom ne sera jamais
révélé, « sans papier de [s]es souvenirs » et la voix de Claire Bonaparte, qui
a habité les lieux en 1967, dont le faux patronyme se lit comme une « fiction
de voyelles et de consonnes ». Depuis quelques semaines, le messager s’arrête à
jour et heure fixes, profondément troublé par ce que le travail de Zoé suscite
en lui. Moins de 24 heures avant que l’installation ne soit démantelée, malgré
des rendez-vous, l’artiste tentera de nommer l’émotion de ce spectateur si
particulier, de décortiquer la portée de son geste créateur; elle n’en
ressortira pas indemne.
Après avoir placé la poésie au cœur de sa démarche dramaturgique
avec Musique pour Rainer Maria Rilke,
Sébastien Harrisson se tourne cette fois vers le monde de l’art contemporain,
du moins en apparence. Si Zoé aura l’occasion de revenir un peu sur ses
motivations, de partager quelques souvenirs du temps de ses études, elle
réalisera bientôt, comme nous dans la salle, que le lien qu’elle est en train d’établir
avec messager, s’il a été rend possible par l’art, relève plutôt d’une rencontre
entre deux solitudes, deux blessures qui au fond se battent contre un même
ennemi, l’oubli.
Cette Claire Bonaparte, l’homme croit la connaître, a besoin
de défendre sa mémoire. « Vous lui avez volé son identité pour votre in situ »,
déplorera-t-il. Zoé se réfute, jurant qu’à partir d’un nom dans un registre, de
longues heures passées sur les lieux, elle a tout imaginé, puis a fait
enregistrer le texte par une actrice sur le déclin. Il ne comprend pas : «
Je déteste avoir à inventer. On finit toujours par se faire prendre quand on
invente. »
Le texte de Harrisson, prégnant, admirablement défendu hier
par Marie Bernier (Zoé), Stéphane Jacques (le messager), Dorothy Berryman (la
voix) et François Pronovost (le narrateur, qui énonçait pour nous les
didascalies) hante déjà l’auditeur. La mise en lecture d’Alice Ronfard faisait
une large place au silence, aux points de suspension, sublimant cet entre-deux,
laissant toute liberté au spectateur d’inventer
l’après-rencontre, la façon dont celle-ci influera sur le travail artistique de
Zoé, sur le quotidien du courtier, cet « homme qui se serait blessé lui-même en
voulant fuir le mot enfance ». Il faudra peut-être considérer de resserrer un
peu le monologue initial de Claire qui, une fois la pièce mise en scène, sera
en voix hors champ et pourrait déstabiliser le spectateur. D’autre part, celui
lui permettra de s’approprier lui aussi l’installation (que nous devions nous
contenter d’imaginer hier, nous demandant même un instant au début si nous
étions chez le coursier et avions affaire à un fantôme), de superposer à cette
histoire ses questions, ses souvenirs. L’expérience risque alors de s’avérer
entièrement autre. Une chose reste sûre : on sort des Écuries avec une
envie réelle de voir et de réentendre ce très beau texte.
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