Un homme va mourir, mais avant, il écrit, sur des feuilles éparses, parce que tant qu'il écrit il ne peut pas mourir, il est dans le geste de création. Il doit laisser un legs aussi, à sa fille qui ne le connaîtra pas, aux dirigeants, à ceux qui tout à l'heure acclameront sa mort aussi. « Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s’agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d’homme, dans ce qu’ils appellent la balance de la justice? Peut-être n’ont-ils jamais réfléchi, les malheureux, à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive d’un arrêt de mort? »
Éric J. St-Jean a fort habilement extrait l'essentiel du roman pour en tirer une proposition théâtrale de 75 minutes sans aucune longueur, malgré la langue riche, parfois exigeante de Victor Hugo, et la lourdeur inhérente du propos. Il faut dire qu'Ariel Ifergan maîtrise parfaitement son texte - ou plutôt en est entièrement libéré -, passant avec une remarquable facilité d'un personnage à l'autre quand nécessaire. Tout ici est question d'intonation, de dosage d'intention, mais aussi de respirations, qui offrent à l'auditeur le temps nécessaire pour assimiler une phrase ou même une scène entière. Si l'interprétation s'inscrit dans un courant classique, peut-être en marge de nombreuses productions, elle reste néanmoins le complément idéal de ce texte.
La scénographie de Christian Jutras et les éclairages de Steve Croteau (en rouge et bleu) jouent ici un rôle crucial. Grâce à une utilisation intelligente de l'écran vidéo en fond de scène, on a l'impression d'être dans la tête du condamné. Ainsi, quand il évoque des souvenirs, un double vidéo déclame le texte. Plus intéressant encore est le traitement presque minimaliste de l'image, son côté abstrait, le texte se dévoilant aussi bien qu'il révèle des éléments que l'on entend pas. Le monologue se transforme ainsi en dialogue, avec le soi intérieur, avec le geste créateur, avec la mort, avec les condamnés qui ont habité cette cellule avant, avec le spectateur. Soulignons également le très réussi environnement sonore de Jean-François Morasse qui nous happe dès les premiers instants et se décline aussi bien comme un prolongement des ambiances qu'un contrepoint rythmique, cœur qui bat, main qui crisse sur le papier, souffle qui vient du plus profond de soi.
Jusqu'au 12 avril à la Salle Fred-Barry
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